L’affaire Total ou l’absence d’ouverture d’esprit
Tribune de Gaëlle Moncomble concernant la venue - finalement annulée- de Thierry Pflimlin à l'IEP
Ces derniers temps, la polémique autour de la venue d’un représentant de la multinationale Totale au Cardo semble avoir secoué l’IEP. Au-delà du questionnement (pertinent il me semble) de la légitimité de la conférence qui devait se dérouler le jeudi 26 janvier, il convient de revenir sur les débats ayant animé les promotions de 1A et de 2A notamment.
A l’instar de ce que le dernier post Instagram de l’association Alter présente, il semble évident que l’entreprise française Total ne soit pas capable de présenter patte blanche au sujet des questions environnementales et humaines - j’invite au passage quiconque se qualifiant ainsi à se signaler. L’entreprise, malgré ses tentatives marketing d’afficher une image plus propre et plus lisse, ne correspond pas spécifiquement aux valeurs et autres principes revendiqués par la direction de Sciences Po Strasbourg et la plupart de ses étudiants; aussi constater que Monsieur Thierry Pflimlin n’était pas le bienvenu n’est une surprise pour personne, même pour ceux appréciant sa qualité de donateur à notre chère institution.
Néanmoins, la direction avait manifesté à ce sujet la volonté de ne pas aborder la tenue de cette conférence telle une “tribune publique” mais plutôt comme un débat, élément central et fondement de la démocratie. Initialement, Monsieur Emmanuel Droit était chargé d’animer un débat entre Monsieur Pflimlin et les étudiants présents à cette occasion. A mon sens, ce format semblait propice à une prise de conscience de la part du Directeur de la branche Marketing et Service de Total Energies de réelles oppositions inhérentes à la jeunesse. D’un point de vue plus optimiste plus qu’objectif, participer à un échange marquant et riche aurait pu avoir un impact sur la politique menée par Total.
Rien ne sert toutefois de réfléchir aux éventuels apports de cette conférence, puisque Monsieur Pflimlin, peut-être par couardise et par crainte de se confronter à des opinions hostiles potentiellement vives, a annulé sa venue en accord avec la direction.
Je ne nierai pas ici la légitimité des protestations étudiantes ni leur démonstration, je voudrais simplement revenir sur la virulence des débats dans les différents groupes de promo. Je souligne également que je n’ai pas connaissance de l’ensemble des messages échangés - chacun employant son temps à sa guise, ce qui ne m’empêche pas de revenir sur quelques points m’ayant marquée.
Tout d’abord la violence, plus appuyée encore que dans les textes de Damso. Certes, l’implication émotionnelle d’une personne est relative à son engagement. Plus un individu se sent concerné par un thème, plus il va avoir tendance à s’emporter pour défendre ses idées. Mais cela ne légitime pas pour autant les attaques qui s’apparentent davantage à un rap contender qu’à un débat mesuré entre étudiants civilisés, ce que je pensais que nous étions. A quoi bon s’exprimer de manière insultante et violente, cultiver l’animosité ?
Le deuxième point rejoint le précédent : cette violence est adressée à toute personne exprimant une opinion contraire à celle défendue par l’individu en question. Je rejoins ici ce que j’exprimais à l’occasion de mon article précédent. Un certain nombre d’étudiants sont très politisés et cette politisation guide leur moindre mouvement. Même s’il semble juste d’agir selon les valeurs qui peuvent nous animer, cela ne devrait pas impliquer de produire une forme de rejet systématique à tout ce qui est différent voire s’y oppose, par conséquent à tous ceux qui incarnent ces idées contradictoires. Ce que je perçois comme une forte intolérance (de la part souvent de la partie de l’échiquier politique prônant le plus la tolérance et la bienveillance, c’est là le paradoxe) conduit à un manque de mesure et à une réduction des parties adverses.
Plus concrètement, parce que les étudiants ayant défendu la venue de Monsieur Pflimlin au nom de la liberté d’expression et de la pluralité des opinions, regrettant pour certains l’annulation de la conférence en évoquant une supposée “censure” sont plutôt à droite (ou à l'extrême-droite), l’ensemble de ce champ politique a été assimilé aux personnes s’opposant à l’avortement. Je cite : “ De toute manière la seule manif à laquelle les gens de droite vont c’est contre l’avortement et le mariage pour tous”. Quel est le rapport avec la question initiale ? Sur quels faits avérés se base cette affirmation ? Il serait temps de prendre position en étant certain d’avoir des connaissances en la matière.
A l’inverse, qualifier les adhérents à cette protestation étudiante à des “terroristes intellectuels” est selon moi d’un ridicule sans nom, en plus d’être offensant. La pose de trois affiches manifestant une simple désapprobation revêt-elle un caractère aussi intimidant que les exactions perpétrées le 13 novembre 2015 ? Monsieur Pflimlin n’a certes pas pris cette décision sans l’influence certaine de l’animosité classique sur les réseaux sociaux, mais un homme de cette envergure ne dispose-t-il pas d’un libre arbitre ? Doit-on réellement craindre pour sa sécurité en s’adressant à “l’élite de la nation” ?
La question initiale a encore une fois été dénaturée pour revêtir non pas des enjeux de Guerre froide mais l’habituelle confrontation extrême entre les deux types d’opinions qu’il est légitime de défendre au sein de l'École. Cette conférence manquée n’est donc pas le symptôme d’un phénomène nouveau mais plus généralement l'illustration du fait que notre génération semble peu ouverte au dialogue et au compromis.
Sortons de cette bulle binaire et intolérante. Une voix s’exprimant plus fort que les autres n’est pas nécessairement celle de la majorité.